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Gilles Lipovetsky, Les temps hypermodernes

Nouveau Collège de Philosophie, Paris, Grasset, 2004
Jean Charles Lagrée
ADR Temporalités
Bibliographical reference

Gilles Lipovetsky, Les temps hypermodernes, Nouveau Collège de Philosophie, Paris, Grasset, 2004

Full text

1Analyse passionnante, qui lit les penseurs du social, Marx au premier chef, et ceux de l’individu, en particulier Freud, à la même lumière du passage de l’hétéronomie à l’autonomie ; certes, Marx juge les clivages sociaux dépassables tandis que Freud pose l’irréductibilité du conflit psychologique mais tous deux ont à penser une humanité qui s’autoconstitue et se réfléchit. Du coup, « l’histoire acquiert un autre poids et un autre rythme quand on cherche, d’abord, à la produire en connaissance de cause et quand, ensuite, on s’y cherche soi-même, quand on en attend un accomplissement de son destin. » C’est là proprement définir la « condition historique » de l’homme contemporain dom Gaucher s’attache à distinguer les différents visages dans les derniers chapitres.

2Le travail de Marcel Cauchet offre l’exemple rare et accompli d’une collaboration fructueuse entre histoire et philosophie. Le projet reste philosophique mais il passe par l’histoire, ne cessant d’interroger le rapport du présent au passé et « les questions disponibles » à un moment donné. Si l’histoire des historiens l’intéresse, ce n’est que dans la mesure où celle-ci se donne pour ambition de reconstituer, « de l’intérieur de leur pensée » la façon dont les hommes du passé ont pu comprendre tel événement dont ils ont été les acteurs ou les témoins ; l’histoire sociale classique n’y suffit pas, qui se borne à dessiner les cadres à l’intérieur desquels les hommes débattent, choisissent, agissent. « Ce dom il s’agir, c’est d’incorporer une dimension de plus à ces éclairages, une dimension réfléchie, en prenant systématiquement en compte ce que disent et pensent les acteurs, la manière dom ils réfléchissent l’événement dans lequel ils sont pris. (...cette démarche) s’efforce de remonter jusqu’aux raisons qu’ils ont de croire ce qu’ils croient. Ce faisant, elle établit aussi ce qui leur échappe dans leur situation, die fait ressortir la part aveugle de leur action. Elle ne s’intéresse pas moins à la logique de l’illusion qu’à ce qu’il y a de lucide dans leur perception des données auxquelles ils ont à faire face. ». Une histoire qui ne soit pas seulement descriptive mais explicative et compréhensive, faut-il qu’un philosophe en appelle l’impérieuse nécessité aux historiens d’aujourd’hui ?

Laurent Manin, Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Saint-Quentin-en-Yvelines

Gilles Lipovetsky,
Les temps hypermodernes, Nouveau Collège de Philosophie, Paris, Grasset, 2004.

3Dans ce petit livre paru en 2004, Gilles Lipovetsky poursuit une réflexion vieille de deux décades puisque commencée en 1983 avec la parution de l’« Ère du vide » et continuée en 1987 avec son non moins fameux ouvrage intitulé I’ « Ère de l’éphémère », sur la post modernité.

4À vrai dire le titre est trompeur. Il laisse à penser en effet que cette fois-ci l’auteur se propose d’engager la réflexion sur la Post-modernité ou I’Hyper-modemité en prenant comme point d’entrée un questionnement sur la temporalité dans le contexte des sociétés développées du XXIème siècle. Cette thématique est certes présente, disons plus précisément qu’elle est évoquée par quelques mots que nous reprendrons dans les lignes qui suivent. Mais c’est d’abord et avant rom la Post et/ou Hyper modernité qui retient l’attention de l’auteur.

5C’est dans les années 70 que le terme, le concept, de Post modernité a fait son apparition dans les cercles intellectuels. Il renvoie à plusieurs éléments : l’effondrement de la rationalité, et la faillite des grandes idéologies et des grands dogma ; une puissante dynamique d’individualisation et de pluralisation de nos sociétés ; la consommation de masse ; le dépérissement des normes autoritaires et disciplinaires ; la désaffection des passions politiques et des militantismes.

6Mais malgré tout le concept de post modernité reste ambigu et désuet. Il a pour principal mérite de signaler que les sociétés occidentales développées sont entrées dans un processus de changement radical quant au mode d’organisation social, culturel et politique. D’une manière plus nette, certains postmodernistes évoqueront même l’idée d’un changement de paradigme sociétal, l’avènement de l’ère des extrêmes et surtout la déstructuration des formes anciennes de régulation sociale de comportement, cristallisées dans la tradition. C’est là rune des thèses également avancées par Anthony Giddens. Les sociétés modernes développées subissent un profond mouvement de dé-traditionnalisation et par là même de dé-régulation sociale et culturelle. La tradition qui intégrait les diverses normes en un ou des modèles, perd de son efficience. Les modèles normatifs se fragmentent. Les normes se dispersent laissant apparaître une marge d’autonomie plus large aux individus qui ont ainsi de plus grandes opportunités de devenir maître de leur destin.

7L’on ne s’attardera pas sur ce point qui appartient au « corpus » des approches théoriques de la Post modernité, des « modernité tardives », de l’« ultra modernité » ou pour ce qui concerne Gilles Lipovetsky, « l’Hyper Modernité ». L’on soulignera seulement l’insistance de l’auteur à pointer les phénomènes de recomposition qui s’opèrent en même temps que nos sociétés développées quittent l’ère de la tradition, des anciennes normativités, des régulations héritées du passé. Parmi ces normes qui se décomposent et se recomposent le rapport au temps occupe une place importante. L’économie joue ici un rôle central : économie du stock zéro, de la production à flux tendu, de la consommation immédiate. Le p é semble invalidé tant il se révèle incapable d’opérer les régulations que l’on attendait de lui. Le passé doit être « recyclé ». Le futur apparaît comme incertain sinon comme comportant une large part de risque. Reste le présent qui devient l’axe central du rapport au temps. Plus qu’à l’époque de la Post modernité, à l’ère de l’Hypermodemité, l’ici et maintenant est prédominant. Le triomphe de l’instantanéité marque la fin de toute téléonomie, l’abandon de toute vision progressiste, la défaite de toute attitude prométhéenne. « Le temps détraditionnalisé » est livré aux choix des individus. Et c’est le présent, voire un présent hédoniste qui l’emporte, même si nos sociétés modernes, nos sociétés futuristes hypermodernes, restent encore à bien des égards tournées vers l’avenir. Tel est le cas en économie où les acteurs s’attèlent à rendre possible l’impossible ou encore dans le domaine de l’éducation qui est tout entier un temps de préparation.

8Le temps hyper moderne est ainsi pris dans une contradiction fondamentale entre le règne du présent et l’incapacité d’échapper à un avenir incertain peut­ être dangereux et sans doute non­ maîtrisable.

9Malgré son volume réduit, ce dernier livre de Gilles Lipovetsky est un véritable stimulant de l’analyse critique des transformations en cours. Certes, nombre de points se trouvent présents dans les débats qui se sont déroulés ces dernières années entre des auteurs tels que Anthony Giddens, Ulrech Beck, John Urry, etc... Et l’on peut regretter que l’auteur n’ait pas pris 1e temps de se confronter à ces théoriciens des temps « modernes » ou « Post » modernes. Mais se sémillant ouvrage ouvre des pistes de réflexion sur deux questions qui semblent avoir été largement délaissées par les auteurs intéressés par l’analyse des transformations en cours. La première d’entre elles bien évidemment est relative à la transformation du rapport au temps. Et bien des investigations, bien des réflexions seront nécessaires pour éclaircir et tirer les conséquences des transformations des temporalités sociales.

10La seconde question qui devrait retenir l’attention du lecteur est relative au processus de régulation des transformations en cours et notamment des normativités. À l’encontre des positions « nihilistes » auxquelles conduisent certaines orientations « post modernistes », l’ouvrage de Gilles Lipovetsy présente l’intérêt d’attirer le regard sur ce qui est émergent, ce qui pourrait préfigurer un futur.

Jean Charles Lagrée, Laboratoire Printemps, Université de Saint-Quentin-en­ Yvelines / ULISS

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References

Electronic reference

Jean Charles Lagrée, “Gilles Lipovetsky, Les temps hypermodernesTemporalités [Online], 2 | 2004, Online since 29 June 2009, connection on 28 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/temporalites/797; DOI: https://doi.org/10.4000/temporalites.797

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Jean Charles Lagrée

Laboratoire Printemps, Université de Saint-Quentin-en-Yvelines/ULISS

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